« Dans mon esprit, il y avait un beau cri de vérité », avoue Devon Portielje de Half Moon Run en parlant de leur nouvelle chanson “You Can Let Go”. Les versets de cette chanson rappellent la panique cardiaque des premiers succès du groupe montréalais, du moins jusqu’à ce que la fièvre se brise et que le refrain se transcende en harmonies sublimes: « Vous pouvez lâcher ce poids que vous portez sur vos épaules ».
Avec un quatrième album en préparation, la transcendance, le sublime et le lâcher-prise reflètent l’esprit de Portielje. Depuis le dernier album de Half Moon Run, A Blemish in the Great Light (Glassnote, 2019), il y a eu la pandémie mondiale et plusieurs changements dans l’industrie du spectacle. Entre-temps, le groupe a sorti trois albums – deux EPs et une collection de leur répertoire en versions acoustiques. De plus, le quatrième membre, le multi-instrumentiste Isaac Symonds, a quitté le groupe et entamé une vie bucolique dans l’ouest du pays.
Reste Portielje, Conner Molander et Dylan Phillips, le trio fondateur du groupe. Leur historique comprend une annonce Craigslist en 2009 et un espace de pratique sombre du Mile End, peuplé d’une vague montante de musiciens montréalais, y compris la phénomène Grimes. Ils ont passé ces années formatives à générer non seulement un premier album, Dark Eyes (Indica, 2012), mais aussi l’entité agitée à six bras qui compose leur musique et assure leur spectacle en direct. (Tous les membres de Half Moon Run, passés et présents, sont des vocalistes et des multi-instrumentalistes.) « La chimie a simplement fonctionné », dit Molander de cette époque. « Nous avons décidé de laisser tomber tous nos projets de vies et d’y aller à fond avec le groupe. J’ai abandonné l’université, nous avons tous quitté nos emplois et accumulé des dettes. Lorsque je repense à cet album, c’est sûrement dû à la force du désespoir que quelque chose est apparu, car il n’y avait pas de retour possible en arrière. »
Lorsque Dark Eyes est lancé, son succès est immédiat, en commençant par une mise en onde d’une radio locale enthousiaste pour son premier single infernal, « Full Circle ». L’album devient platine au Canada et un contrat avec Glassnote Records aux États-Unis s’ensuit, ce qui a place le groupe dans la haute liste des « Heatseekers » de Billboard. Dark Eyes voit également deux de ses chansons sur la A-list de la Radio BBC 1 et vaut au groupe une série de spectacles au Royaume-Uni, ainsi qu’un accord avec la maison de disque de Ben Lovett, Communion. Rolling Stone étiquette Half Moon Run comme « un groupe à surveiller », et NME appelle l’album “stupéfiant”.
Après avoir ajouté Symonds comme membre officiel, le groupe part pour deux ans de tournée mondiale effrénée. Ils ouvrent non seulement pour le groupe de Lovett, Mumford and Sons, mais également pour d’autres artistes internationaux comme City and Colour et Of Monsters and Men, gagnant en popularité lors de grands festivals, partout en Amérique du Nord, en Europe et en Australie. “Notre spectacle est devenu vraiment bien rodé”, déclare Molander. « Nous étions super à l’aise sur scène, donc nous pouvions improviser un peu. C’était une chose vraiment fluide, des moments incroyables ».
Mais à leur retour à Montréal, ils sont épuisés créativement et émotionnellement. « C’était comme être sous l’eau », se rappelle Phillips. « Nous n’avions pas eu l’occasion de réfléchir ou de faire le deuil de ce que nous faisions, de ce que nos vies étaient devenues. » Les pratiques étaient fréquentes mais l’écriture de chansons devenue étrangère. Avec ces grands contrats d’enregistrement qui pèse sur eux, le groupe range leur van de tournée et laisse le soleil les attirer vers l’ouest de la Californie, pour tenter de se recréer à nouveau.
Leur deuxième album, Sun Leads Me On, est produit par Jim Abbiss (Adele, Arctic Monkeys) et sort à la fin de 2015. Le premier extrait, “Turn Your Love”, devient le premier hit « Top Ten » de la radio Alternative Rock canadienne et est aussi numéro 1 à la radio Triple-J en Australie. Deux autres années de tournées mondiales à guichets fermés suivent, y compris quatre concerts consécutifs à Montréal (où 9000 billets s’écoulent en 45 minutes) et 14 festivals européens en 14 semaines.
Cette fois-ci, en rentrant à la maison, ils changent leur approche dans l’écriture de chansons. « Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que vous pouvez capter l’inspiration grâce à un effort constant et ferme. Cela peut être très spartiate à certains moments, mais à d’autres, cela peut être extrêmement fructueux » dit Portielje. Le temps consacré à la création de l’album A Blemish in the Great Light en 2019 n’est pas seulement collectif, mais individuel. « Je me sentais un peu coincé avec les compétences que j’avais lorsque j’ai rejoint la bande à 19 ans », dit Molander. « Et ça ne me suffisait pas. C’était un ressentie général dans le groupe et avons tous commencé à pratiquer et à étudier chacun de notre côté. J’ai trouvé un piano et j’ai recommencé à apprendre la musique classique. Il y a une certaine partie de votre individualité que vous sacrifiez pour faire partie d’un groupe comme celui-ci, et seulement étudier, travailler et écrire peut permettre de récupérer une partie de cette individualité. »
Pour enregistrer A Blemish in the Great Light, le groupe travaille avec le producteur légendaire Joe Chiccarelli (Frank Zappa, The Strokes, Sondre Lerche). L’album fait ses débuts en 3e place du classement canadien et remporte, en 2020, un JUNO pour l’Album Adulte Alternatif de l’année. De retour sur la route, le groupe organise une tournée à la fois humaine (avec des jours de repos et de vrais lits pour l’équipe et le groupe) et respectant les standards visuels et sonores du groupe. « C’était l’une des meilleures tournées que nous avons faites », déclare Portielje. « Faire une tournée de manière saine, aller dans ces endroits merveilleux et jouer pour ces gens qui veulent vraiment vous voir est l’un des plus grands privilèges de ma vie. J’aime beaucoup certaines parties du chaos et je cherche souvent l’intensité, mais cette tournée – même si nous avons vendu beaucoup de billets – n’a pas permis à boucler les fins de mois. »
Lorsque les membres du groupe et la direction se réunissent pour évaluer quoi faire pour réaliser une tournée psychologiquement et financièrement viable, la Pandémie du Coronavirus met fin à toute discussion. Half Moon Run réagi au choc du confinement en retournant dans leur mode créatif : en pratiquant, en étudiant, en jouant ensemble quand c’était permis. De chez eux, puis mis en ligne sur les réseaux sociaux, ils diffusent des versions acoustiques de leur catalogue. Ils compilent ensuite les résultats dans l’album The Covideo Sessions en 2020. Au même moment, Symonds annonce son départ. « Lorsque la COVID a frappé », explique Molander, « tout le monde, dans le monde, a explorer son intérieur et s’est demandé : “Qui suis-je ? Quels sont les choses les plus importantes dans ma vie ? De quoi puis-je me débarrasser ?” » Portielje est d’accord : « C’est une vie intense. Isaac a consacré toute sa vingtaine au groupe, et puis lorsque nous avons enfin eu une pause, il a réalisé qu’il pouvait mettre de côté certaines choses. »
Deux EPs sortent au cours de la pandémie: Seasons of Change (2020), incluant des chansons misent de côté, mais enregistrées pendant la période de Blemish; et Inwards and Onwards (2021), six chansons auto-enregistrées et auto-produites dans leur local de pratique, qui ont permises au groupe de remporter le JUNO pour l’Album Adulte Alternatif de l’année. Portielje se rappelle avec plaisir les 130 jours de couvre-feu, qui ont eu lieu au Québec, comme l’une des périodes les plus productives du groupe. “Nous avons condensé les pratiques normales qui pouvaient durer douze ou quatorze heures en sessions de six ou huit heures. À la fin, les « jams » étaient si intenses que nous comptions les minutes restantes. Le temps aloué était très serré; 20 minutes avant le couvre-feu, nous étions encore en train de jouer. Nous devions ensuite rentrer chez nous à vélo, parfois un peu éméchés, avant le couvre-feu et qu’il soit illégal de se retrouver dehors.”
L’approche d’écriture collective du groupe – avec leurs influences omnivores, leur formation classique et leurs triangulations sous-corticales – est cérébrale dans le même sens qu’un rêve est cérébral. « Lorsque nous pratiquons », dit Portielje, “et que nous sommes en désaccord sur la direction à prendre, c’est comme un état de rêve. On se laisse aller et on se perd dans le rythme, il y a un sentiment d’unité. Tu n’es plus seulement toi en tant que personne, tu es toi en tant que “nous”. Cela arrive rarement, mais lorsque cela se produit, c’est transcendant. » Phillips ajoute: « Lorsque nous trouvons quelque chose que nous aimons tous, cela ressemble à un miracle. À chaque fois, je me dis: “je ne savais pas que nous pourrions le faire à nouveau, je croyais que c’était fini pour toujours.” »
Cet état subliminal de la création a produit une musique que tous, de « The Guardian » à « Exclaim! », louangent, et ce, même s’ils ont de la difficulté à la classer. Le groupe ne se préoccupe toutefois pas du type de classement de leur musique, que ce soit le « dream-folk » néoclassique, la pop mathématique ambiante ou le rock d’art rustique. En direct ou enregistrée, leur musique – selon un fan – « sonne comme de la poussière d’or. » Le groupe a passé l’année 2022 à réapprivoiser la scène, jouant quelques concerts dont une performance devant plus de 60 000 personnes sur les Plaines d’Abraham pour la dernière nuit du Festival d’été de Québec. Vers la fin de l’année, l’ADISQ a décerné au groupe le Félix pour le meilleur spectacle anglophone de 2022. C’était la 5e fois que le groupe remportait un Félix.
Avec leur quatrième album en cours, catégoriser ce dernier est la dernière chose à l’esprit de Portielje. « Tout ce que je peux dire, c’est que notre dernier EP était tourné vers l’intérieur et allait de l’avant, et maintenant, nous regardons peut-être vers le haut. »
“You Can Let Go” a été produit par Connor Seidel au studio Treehouse. Il sortira dans le monde entier le 3 mars 2023 sous l’étiquette BMG.